N°F04 – Douleurs – Tous handicaps – Tous professionnels de santé

Douleurs de la personne dyscommunicante : rechercher les causes, les soulager

Version : novembre 2022
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Les sujets abordés dans cette fiche:

  • Quelles sont les pathologies douloureuses les plus fréquentes chez ces personnes ?
  • Comment orienter l’examen clinique chez une personne qui ne peut s’exprimer ?
  • Quels médicaments et moyens non pharmacologiques pour soulager les douleurs ?

Quelles sont les personnes concernées ?

Les personnes présentant un Handicap Psychique, un Trouble du Développement Intellectuel (TDI), un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA), un Polyhandicap ont des difficultés à communiquer verbalement, à exprimer leurs ressentis, leurs besoins. Soit du fait d’un défaut de mobilisation des facultés intellectuelles, soit du fait d’une déficience de celles-ci.
L’expression de leurs douleurs est atypique. L’évaluation de celles-ci requiert l’utilisation d’échelles d’hétéroévaluation. (voir le fiche HandiConnect.fr F03  Douleurs de la personne dyscommunicante: les repérer, les évaluer).
Les personnes âgées démentes, les personnes en état végétatif ou aphasiques ont des manifestations de leurs douleurs, des prises en charge particulières et ne seront pas évoquées ici.

De quelles douleurs parle-t-on ?

La douleur est « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle » (IASP 2020).
Ressentie dans le corps, elle s’accompagne d’une souffrance psychique.

Les différents types de douleur :

  • Douleur par excès de nociception : en lien avec une lésion somatique (traumatisme, infarctus, rhumatisme, soin avec effraction…)
  • Douleur neuropathique : spécifique de lésions du Système Nerveux Somato-sensoriel Central ou Périphérique (après un zona, certaines chirurgies, un AVC, une anoxie cérébrale, …)
  • Douleur médicalement inexpliquée : certaines céphalées, Syndrome Douloureux Régional Complexe de type I, douleurs musculo-squelettiques inexpliquées, douleurs abdominales récurrentes
  • Douleur mixte : elle présente des composantes nociceptive, neurogène et psychogène (douleur cancéreuse, certaines douleurs post-opératoires
La douleur aiguë est un signe d’alarme.
La douleur chronique (> 3 mois) est une maladie à part entière, dont le retentissement est global (physique, psychologique, social…).

Soulager la douleur, quelles sont les règles ?

  • Le traitement de la douleur, c’est avant tout sa prévention.
  • La douleur est un symptôme dont le traitement est aussi celui de sa cause chaque fois que cela est possible.
  • Le traitement de la douleur ne doit pas être retardé par la recherche de son étiologie.
  • Le traitement est réévalué en cas d’inefficacité, arrêté dès lors qu’il n’est plus nécessaire.

Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.

L’incapacité de communiquer verbalement ne nie en aucune façon la possibilité qu’un individu éprouve de la douleur et qu’il a besoin d’un traitement approprié pour soulager sa douleur.

Quelles sont les étiologies

Prévalence plus élevée chez la personne dyscommunicante de :

  • Douleurs digestives : constipation chronique, reflux gastro-oesophagien, œsophagite, fuites autour de l’orifice de gastrostomie, maladie cœliaque
  • Infarctus du myocarde : très fréquent chez les personnes avec handicap psychique du fait des comorbidités et de la prévalence du syndrome métabolique (voir la fiche HandiConnect.fr H21  Handicap psychique : points de vigilance somatique)
  • Atteintes musculo-squelettiques : scoliose, luxations articulaires, accès spastiques, ostéopénie même chez le sujet jeune voire l’enfant, fracture ostéoporotique, dégénérescence arthrosique précoce
  • Pathologies de l’appareil urinaire : rétention aiguë d’urines, coliques néphrétiques (notamment liées à l’Epitomax), infections
  • Douleurs neuropathiques : en l’absence de description fiable, éléments d’orientation : ATCD de lésion du SNC, de chirurgie rachidienne ou thoracique ; parfois identification d’une zone « gâchette » ou zone d’allodynie (douleur déclenchée par un stimulus normalement indolore)
  • Mauvais positionnements et appuis trop marqués : corsets, assises, têtières, chaussures orthopédiques, matelas…
  • Lésions cutanées, dentaires dues à un défaut d’hygiène, des frottements, des lésions de grattage (TOC), une hyposialie d’origine médicamenteuse : gingivite, intertrigo, phlyctènes…

Sans oublier :

  • Les pathologies somatiques ordinaires : dysménorrhée, appendicite, caries dentaires, otite, hémorroïdes, panaris…
  • Les douleurs procédurales liées aux soins dentaires, au nursing, aux actes infirmiers, aux séances de kinésithérapie (voir la fiche HandiConnect.fr F05  Prévention de la douleur des soins chez la personne dyscommunicante)
  • Les douleurs post-opératoires, immédiates et séquellaires
  • Les douleurs traumatiques, conséquences d’automutilations, de violences dont la personne n’a pas conscience
  • Les douleurs cancéreuses
Les familles et les proches ont un rôle majeur d’expertise dans le repérage des signaux douloureux et des étiologies déjà présentées par la personne. Ce sont des alliés incontournables.

Les prises en charge thérapeutiques, comment choisir ?

Le choix dépend :
  • De la douleur : type, intensité, siège
  • De l’étiologie et de son incidence sur l’état de la personne (urgence)
  • De la personne : âge, pathologies et déficiences, ATCD douloureux dont les effets des prises en charge antérieures
  • Des traitements en cours

Les méthodes non-pharmacologiques

Elles sont complémentaires des prescriptions d’antalgiques.
Elles comprennent toutes un temps d’écoute empathique afin d’instaurer une relation de confiance et un temps d’information sur le soin prévu, la méthode choisie et ses effets attendus.
Le soignant s’assure autant que possible de la compréhension de la personne, de son adhésion, et de la présence rassurante d’un aidant ou d’un parent.
Ces méthodes sont à adapter aux compétences cognitives, émotionnelles et sensorielles de la personne.

Les approches psychologiques :

Elles agissent sur la douleur et sur l’anxiété qui est majeure chez ces personnes.
  • La communication thérapeutique : le langage verbal et non-verbal, la reformulation, l’empathie et l’écoute s’adaptent aux réactions de la personne
  • La distraction : réalisée par un soignant formé, l’objet permet de défocaliser la personne de sa douleur
  • La relaxation ; la détente en salle Snoezelen ou tout autre lieu-ressource ; le toucher-massage ; la balnéothérapie
  • L’art thérapie ; la musicothérapie

Les moyens physiques :

  • L’immobilisation de la zone douloureuse ; le changement de position
  • La kinésithérapie ; la remise en mouvement ; l’Activité Physique Adaptée (APA)
  • L’ergothérapie
  • L’application de chaud ou de froid sur la zone douloureuse (froid pour des douleurs inflammatoires ou traumatiques ; chaud pour des contractures, des spasmes digestifs)

Particularités à prendre en compte pour le choix de la méthode

  • Hyper ou hyposensibilité sensorielle : vision,ouïe, toucher, goût, odorat, vestibulaire, proprioception, thermoception
  • Mode(s) de communication
  • Préférences : Lieux ressourçants / anxiogènes ; Objets ou personnes rassurants
  • Expériences antérieures de douleur : souvenirs du patient, du proche aidant
  • Compétence cognitive et distraction : la déficience intellectuelle profonde n’est pas un obstacle à l’utilisation de cette méthode. Avec des personnes porteuses de TSA, de handicap psychique , il peut être impossible, voire dangereux de les éloigner de la réalité (l’hypnoanalgésie n’est pas recommandée).

Les antalgiques

Leur prescription est adaptée au type et à l’intensité de la douleur, à l’âge de la personne, aux pathologies associées, aux traitements en cours.
Les personnes dyscommunicantes en raison d’une pathologie psychiatrique, d’un polyhandicap, suivent de nombreux traitements. Attention aux interactions médicamenteuses.
De nombreuses spécialités associent 2 antalgiques (dont doliprane et codéine) ; Risque de surdosage.

En pratique, en fonction du mécanisme de la douleur

La douleur aiguë par excès de nociception :

En plus du moyen non-pharmacologique choisi, prescrire un antalgique, seul ou en association, choisi d’emblée en fonction de l’intensité de la douleur.
Pour les opioïdes, commencer par la dose minimale efficace. En fonction de la réponse du patient, modifier les doses progressivement.
Classification de l'OMS INTENSITÉ (1) 3 à 4 5 à 6 7 à 10
Palier I Antalgiques non opioïdes Paracétamol (3)
AINS (4)
⚠ Néfopam (2, 4, 6)
Parlier II Opioïdes d'action faible (5) ⚠ Codéine (2, 4, 5, 6)
⚠ Poudre d'opium (2, 5, 6)
⚠ Tramadol (2, 5)
Palier III Opioïdes forts (5) ⚠ Morphine (5)
⚠ Fentanyl (5)
⚠ Hydromorphone (2, 5)
⚠ Oxycodone (2, 5)
⚠ Nalbuphine (IV ou IR)

Légende

⚠ : Interactions avec les traitements psychotropes ; Avis spécialisé requis en cas de maladie respiratoire évolutive et/ou de maladie neurologique évolutive.
  1. Intensité de la douleur : rapporter, par une règle de 3, le chiffre obtenu lors de la passation de l’échelle d’hétéro-évaluation (voir la fiche HandiConnect.fr F03  Douleurs de la personne dyscommunicante: les repérer, les évaluer) sur une échelle entre 0 et 10
  2. Risque addictif connu, à surveiller
  3. Paracétamol : potentialise l’effet des autres antalgiques
  4. Contre-Indications (CI) absolues et relatives :
    • AINS :
      • CI absolues : varicelle
      • CI relatives :
        • ATCD d’ulcère, de RGO ; précaution : doubler la dose d’IPP recommandée
        • Association avec un traitement thymorégulateur (Lithium, Dépakote…) car modification de l’élimination hépatique
    • Codéine :
      • CI absolues : enfant < 12ans, femme allaitante, après amygdalectomie
      • CI relatives : dépression respiratoire, maladie neurologique évolutive
    • Néfopam :
      • CI : épilepsie ; risque de dysphorie. Mésusage per os entrainant un risque de dépendance
  5. Risque d’effets secondaires à prévenir :
    • Pour tous les opioïdes faibles et forts : dépression respiratoire, sédation ; précaution : prescription sous surveillance, constipation ; prévention : adapter les mesures hygiéno-diététiques et le traitement laxatif
    • Tramadol : épileptogène ; sédatif ; précautions : surveillance neurologique et modification de certains traitements au besoin
  6. CI chez l’enfant

Le M.E.O.P.A

Anxiolytique, amnésiant, anesthésiant de surface. Sur prescription médicale. Administré par un soignant formé. 

CI absolues : état de conscience non stabilisé, situation vitale précaire, cavités aériques (pneumothorax, emphysème, distension abdominale, occlusion digestive, chirurgie intra-oculaire datant de moins de 3 mois), oxygénodépendance >50%. Surveiller la SpO2 et la réactivité du sujet (contact verbal, tactile).

En pratique, on retiendra :

En cas de douleur majeure ≥ 7, prescrire de la morphine à dose efficace. L’utilisation des autres opioïdes forts relève plutôt des services spécialisés.

La douleur aiguë procédurale ou douleur des soins :

Tout soin invasif doit être associé à une prescription d’antalgiques locaux et éventuellement d’un anxiolytique ou d’un sédatif (dont le MEOPA).
Les antalgiques de palier I sont inefficaces pour prévenir la douleur des soins. Ils peuvent être prescrits à la suite d’un soin douloureux.
Des antalgiques de palier III sont prescrits avant des soins étendus, prolongés ou si douleur potentielle > 6. Les méthodes non pharmacologiques sont choisies en fonction de la personne et du soin.

Les douleurs neuropathiques et les douleurs mixtes :

Prise en charge spécialisée en consultation douleur ou consultation de neurologie.
Antiépileptiques : Gabapentine, Prégabaline, Lamotrigine.
Antidépresseurs tricycliques : Amitryptiline, Clomipramine. Autres antidépresseurs.
Traitements locaux : Lidocaïne topique.

Les douleurs médicalement inexpliquées et les douleurs chroniques :

Prise en charge complexe, en consultation spécialisée, multimodale (pharmacologique, physique,
psychothérapeutique).

Pour en savoir plus

Documentation

Antalgiques : classification, règles d'usage

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Contributeurs

Cette fiche a été co-construite et validée par le groupe de travail HandiConnect.fr « Douleurs des personnes dyscommunicantes » dont les membres sont :

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Première publication : aout 2021