N°F11
La personne handicapée vieillissante : définition, points de vigilance
Les sujets abordés dans cette fiche:
- Quelles sont les particularités du vieillissement chez la personne en situation de handicap ?
- Comment prévenir le passage vers la fragilité ou vers l’état pathologique ?
- Quelles sont les clefs pour évaluer le profil du patient handicapé vieillissant ?
- Quelles particularités pour un patient avec trouble du développement intellectuel ?
Définition et spécificités
Une personne handicapée vieillissante est une personne qui a entamé ou connu sa situation de handicap, quelle qu’en soit la nature ou la cause, avant de connaître par surcroît les effets du vieillissement jusqu’à entraîner une réduction du champ des activités, notamment sociales.
(CNSA 2010)
Effets du vieillissement : baisse supplémentaire de capacités fonctionnelles déjà altérées + augmentation du taux de survenue des maladies liées à l’âge (maladies dégénératives, maladies métaboliques…).
D’une manière générale, le vieillissement en lui-même n’est pas la cause de la perte d’autonomie, ce sont les pathologies dont la fréquence et le nombre augmentent avec l’âge qui en sont la cause. Il faut les rechercher et les traiter (Bouchon, 1984).
L’allongement de l’espérance de vie des personnes en situation de handicap est un phénomène de grande ampleur apparu depuis les années 1990. Les personnes handicapées arrivent aujourd’hui à des âges inédits.
Spécificités de l'avancée en âge pour les personnes en situation de handicap
Enjeux : prévention et dépistage
Objectif : bien vieillir
Un accès à la santé souvent moindre qui peut grever le capital de départ
- Un vieillissement polymorphe à l’image des différentes situations de handicap (physique, mental, psychique, sensoriels, polyhandicap…)
- Des effets du vieillissement habituels mais aussi des effets spécifiques liés à chaque handicap (cf. fiches à paraitre)
- Une réserve physiologique diminuée dès le départ et donc une « marge de sécurité » moindre
- Un amoindrissement des capacités fonctionnelles (physiques, sensorielles, cognitives, sociales, …) potentiellement précoce. Parfois moins perceptible ou difficilement exprimé.
- Un âge physiologique qui prédomine sur l’âge chronologique
- La nécessité de s’en préoccuper tôt, avant un âge « gériatrique », et possiblement dès 40 ans
Points de vigilance / conduite à tenir
1
Profil robuste
Bien vieillir et éviter le passage à la fragilité
Robuste = Avancée en âge avec maintien ou atteinte très modérée des capacités fonctionnelles
- Équilibre alimentaire (apports protéiques, vitaminiques, fibres…)
- Exercice physique adapté (risque de surpoids)
- Maintien des capacités manducatoires
- Hygiène buccodentaire => corrélation entre espérance de vie et santé bucco-dentaire (cf. En savoir plus)
- Vaccinations
- Entretien des capacités fonctionnelles par leur exercice dans la vie quotidienne (« ce qui n’est pas exercé se perd »)
- Protection du sommeil (installation, environnement rassurant, limitation des perturbateurs, ritualisation, limitation des écrans…).
- Entretien de la vie sociale +++
Et aussi : faire les mêmes dépistages systématiques que ceux effectués dans la population générale : sensoriels (audition, vue), cancers (sein, col de l’utérus, prostate, peau, côlon).
Mais également dépister des pathologies endocriniennes asymptomatiques (dysthyroïdie, diabète), cardio-vasculaires (hyper/hypotension artérielle).
Profil fragile
Fragilité = État potentiel de vulnérabilité, distinct de la pluri-pathologie et des incapacités à accomplir des activités de la vie quotidienne
Critères de fragilté
Dépister
- Des pathologies fréquentes peu symptomatiques ou à symptômes atypiques Arthrose cervicale – notamment chez les personnes dystoniques ou spastiques – avec conséquences radiculaires ou médullaires, RGO, syndrome d’apnées du sommeil, ostéoporose, diabète, surdité, troubles cognitifs, troubles du sommeil, chutes, douleur, dépression, autres pathologies psychiatriques,…
- Des pathologies plus spécifiques à chaque type de handicap Ex : cancer du bas œsophage et polyhandicap avec RGO et œsophagite chronique, maladie d’Azheimer et trisomie 21, troubles digestifs et paralysie cérébrale, etc.
Corriger les facteurs de risques de pathologies (prévention secondaire)
- Rééquilibrer l’alimentation pour prévenir ou corriger la dénutrition
- Eliminer les toxiques
- Mettre en place un traitement correcteur (ex. : HTA)
- Renforcer les rééducations fonctionnelles (par ex. rééducation orthophonique de troubles de la déglutition)
- Mettre en place les aides techniques nécessaires (lunettes, appareils auditifs, prothèses dentaires, aides de déambulation, orthèses, communication alternative, …)
Profil pathologique
Pathologique = Apparition de pathologies chroniques incapacitantes à l’origine de « perte d’autonomie ». Autres syndromes gériatriques : dénutrition, confusion,
chutes / perte de mobilité, dépression, incontinence, amoindrissement des capacités
fonctionnelles, ralentissement, fatigabilité accrue…
Devant tout changement de comportement, notamment chez une personne dyscommunicante, suspecter une douleur et/ou une pathologie aiguë
- Rétention urinaire / Constipation
- Infection
- Problèmes dentaires +++
- Pathologie cutanée (mycose, eczéma, allergie, plaie – ulcère, escarre, …)
- Arthrose cervicale / hanche / genou
- RGO avec oesophagite / ulcère / mycose oropharyngée
- Syndrome d’apnées du sommeil (75% des adultes porteurs de trisomie 21)
- Diabète décompensé
- Dysthyroïdie symptomatique
- Épilepsie (de novo ou mal équilibrée)
La douleur
Elle peut empêcher l’expression des symptômes et donner lieu à des troubles du comportement. Si la clinique ne permet pas de déceler une pathologie aiguë, proposer un traitement antalgique pour démasquer éventuellement d’autres symptômes ou simplement rendre possible l’examen clinique.
Différer autant que possible la perte de capacités
Rééducations (déglutition, limitation des raideurs et rétractions, capacités fonctionnelles motrices, gestuelles, locomotrices, modalités de communication…). Préserver les capacités manducatoires.
Limiter les complications et corriger les facteurs de handicap « de situation » (prévention tertiaire)
- Réévaluation régulière de l’ordonnance : attention à la polymédication, attention à l’effet à long terme des neuroleptiques, bénéfice/risque, éviter le risque iatrogène
- Suivi et adaptations nutritionnelles +++ (texture, présentation des aliments,…) en tenant compte de l’impact éventuel des capacités cognitives de la personne sur la compliance
- Réévaluation régulière de la mobilité, de l’installation si mobilité réduite
- Adaptation du lieu de vie habituel, des modalités professionnelles (le cas échéant) et de l’environnement social.
- Être attentif à ce qui s’est passé dans la vie de la personne (déménagement, perte des proches, retraite…)
- Prise en compte de changements dans le personnel d’accompagnement du quotidien
Quel est le profil de mon patient ?
- Importance du regard de l’entourage dans le dépistage du vieillissement,
- S’appuyer si nécessaire sur les aidants/référents pour connaitre :
- les capacités fonctionnelles antérieures et actuelles dans les activités quotidiennes, sociales voire professionnelles,
- le comportement habituel,
- l’ état thymique…
- Faire un bilan des capacités de la vie quotidienne avant signes de vieillissement (par exemple avant 40 ans).
Connaître, chez un patient vivant avec un trouble du développement intellectuel :
- Le risque accru de fausses routes (troubles cognitifs rendant inopérantes des adaptations de textures éventuellement préconisées, effets indésirables d’une polymédication éventuelle)
- La présentation atypique des pathologies psychiatriques
- Chez la femme, l’expression potentiellement atypique des symptômes de la ménopause, pouvant mimer un trouble neurocognitif (agitation, modifications durables du comportement,…)
- L’impact souvent important des changements dans l’environnement, en particulier humain (professionnels de l’accompagnement du quotidien) :
- Ils peuvent démasquer une perte d’acquisitions jusque-là compensée par une « sur-adaptation » des accompagnants.
- Ils doivent être au maximum anticipés et préparés.
- Le sur-risque de survenue d’un trouble neurodégénératif par rapport à la population générale
- La nécessité de préparer le bilan des 40 ans par le recueil antérieur systématisé d’informations sur le niveau d’autonomie du patient, les spécificités de sa communication, les facilitateurs pour les consultations, … Ces éléments seront repris dans les différents courriers de liaison indispensables au suivi coordonné.
- L’existence fréquente d’une mesure de protection juridique : l’identifier et en tenir compte durant les consultations
En pratique, comment faire ?
- Instaurer un climat de confiance à la première consultation de médecine générale, si nécessaire sans examen cliniqueclinique (consultation « blanche »)
- Dans un établissement de santé, faire appel au référent handicap en amont de la consultation
- Créer une alliance avec les aidants (familiaux ou professionnels) pour la mise en place des mesures de prévention et des traitements. Attention à l’âge des aidants familiaux… Proposer un parcours d’aide aux aidants. Consulter les sites ressources.
- Proposer un traitement antalgique si l’examen n’est pas faisable
- Expliquer chaque geste possiblement avec des supports visuels (SantéBD / FALC…)
- Faire un bilan des capacités dès l’âge de 40 ans (pour avoir le comparatif)
- S’appuyer sur les dispositifs de consultations dédiées pour les situations les plus complexes et/ou une équipe spécialisée handicap + vieillissement (voir la fiche HandiConnect.fr F11b | La personne handicapée vieillissante : quels relais ?)
- Faire évoluer l’orientation / l’environnement d’aide ou d’hébergement en refaisant le dossier MDA/MDPH. Bien noter l’évolution du retentissement sur les capacités et pas seulement le diagnostic
EN CONCLUSION
Pour tous les profils, importance du maintien des capacités
- Mettre en oeuvre les mesures de prévention primaire et secondaire tout au long de la vie
- S’appuyer sur les capacités préservées, valoriser la personne, renforcer l’aide aux aidants ou les remplacer si nécessaire en cas d’impossibilité / décès des parents aidants,
- Entretenir la vie sociale, prévenir l’isolement et la désinsertion sociale.
Pour en savoir plus
Références
- L’adaptation de l’intervention auprès de personnes handicapées vieillissantes. Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Synthèse. ANESM. 2015.
- Azéma, B. & Martinez, N. (2005). Les personnes handicapées vieillissantes : espérances de vie et de santé ; qualité de vie : Une revue de la littérature. Revue française des affaires sociales. 295-333.
- Berranger, P., & Reverte, K. (2011). Personne handicapée vieillissante, des réponses pour bien vieillir. Les cahiers du CCAH, octobre 2011 (3).
- Mangeney, K., Carnein, S. Les personnes handicapées vieillissantes : indicateurs médicaux & psychosociaux du vieillissement. Étude du vieillissement dans les Foyers d’Accueil médicalisé (FAM) en région Alsace. Rapport d’étude, avril 2014.
- Arimoto, N., Nishimura, R., Kobayashi, T., Asaeda, M., Naito, T., Kojima, M., … & Naito, M. (2023). Effects of oral health-related quality of life on total mortality: a prospective cohort study. BMC Oral Health, 23(1), 708.
- King, E., Brangan, J., McCarron, M., McCallion, P., Bavussantakath, F. R., & O’Donovan, M. A. (2022). Predictors of productivity and leisure for people aging with intellectual disability. Canadian Journal of Occupational Therapy, 89(2), 135-146.
- Schoufour, J. D., Oppewal, A., van Maurik, M. C., Hilgenkamp, T. I. M., Elbers, R. G., & Maes‐Festen, D. A. M. (2022). Development and validation of a shortened and practical frailty index for people with intellectual disabilities.
- Strydom, A., Chan, T., King, M., Hassiotis, A., & Livingston, G. (2013). Incidence of dementia in older adults with intellectual disabilities. Research in developmental disabilities, 34(6), 1881-1885
- Rebillat, A. S., Hiance-Delahaye, A., Falquero, S., Radice, G., & Sacco, S. (2021). Validation en version française du DSQIID. The French translation of the dementia screening questionnaire for individuals with intellectual disabilities is a sensitive tool for screening for dementia in people with Down syndrome. Research in Developmental Disabilities, 118, 104068.
- Bouchon, J. P. (1984). 1+ 2+ 3 Synthèse du schéma modélisant la décompensation fonctionnelle de la personne âgée. Rev Prat, 34(888-92).
- Le vieillissement des personnes en situation de handicap. Enquête FEHAP pour mesurer les besoins des personnes et les défis à relever pour les établissements (2022).
- L’accompagnement des personnes en situation de handicap vieillissantes. Rapport de la Cour des Comptes, 2023.
- Gohet, P. L’avancée en âge des personnes handicapées, contribution à la réflexion. Rapport Tome 1.
Outils
- ↑ Fiche HandiConnect.fr A02 | Accueil d’un patient en situation de handicap : aides financières et valorisation des actes
- ↑ Fiche HandiConnect.fr F03 | Douleurs de la personne dyscommunicante : les repérer, les évaluer
- ↑ Fiche HandiConnect.fr F11b | La personne handicapée vieillissante : quels relais ?
- ↑ Fiche HandiConnect.fr F11c | Évaluer le profil d’une personne handicapée vieillissante : sélection d’outils, liste des échelles
- ↑ Fiches HandiConnect.fr Repères Juridiques
- ↑ DIMA, Préparer la première consultation gériatrique avec et pour une personne en situation de handicap. 2025
Sites ressources
- Mon parcours handicap, portail gouvernemental
- Pour les personnes âgées, portail gouvernemental
- Ma Boussole Aidants
Contributeurs
Cette fiche a été construite par le groupe de travail HandiConnect « La Personne Handicapée Vieillissante » dont les membres sont : Dr Geneviève Bourgeois (gériatre, Hôpital Saint Jean de Briare et Maison de l’Autonomie Loiret), Dr Stéphane Carnein (chef de pôle de gériatrie et de médecine, personnes en situation de handicap – Centre Départemental de Repos et de Soins de Colmar), Dr Anaïs Cloppet (gériatre, Gérond’if), Muriel Delporte (sociologue, CREAI Hauts-de-France), Dr Rebecca Haddad (MPR et gériatre, Hôpital Rothschild, Paris), Pr. Claude Jeandel (gériatre, directeur de l’Ecole de Gérontologie Université de Montpellier, ancien président du Conseil national professionnel de gériatrie et conseiller médical de la Fondation Partage & Vie), Dr Stéphanie Miot (gériatre, CHU de Montpellier), Dr Bruno Pollez (médecin physique et réadaptation, association LADAPT, Groupe Polyhandicap France et Coactis Santé), Dr Anne-Sophie Rebillat (gériatre, Institut Jérôme Lejeune, Paris), Dr Catherine Rey-Quinio (médecin inspecteur de santé publique, ARS Île-de-France).
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Première publication : juillet 2024
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